À quelques jours de la présidentielle d’octobre 2025, le monde protestant évangélique ivoirien se déchire autour de la question de la neutralité de l’Église. Une véritable bataille de communiqués oppose désormais la Grande Médiature Évangélique de Côte d’Ivoire et le Consistoire des Protestants Évangéliques (CPECI). Ce qui plonge les chrétiens évangéliques dans un embarras total.
Une sortie controversée de la Grande Médiature Évangélique
Tout est parti d’une déclaration surprenante publiée, le dimanche 12 octobre 2025, dans la soirée, par la Grande Médiature Évangélique de Côte d’Ivoire, dirigée par l’Évêque Dr Jonathan Gba. Dans ce communiqué, les Églises évangéliques, réunies au sein de cette structure, affirment sans détour leur soutien au président sortant, Alassane Ouattara, candidat à sa propre succession.
« Les Églises évangéliques promettent de mettre à la disposition de notre candidat un million de votants chrétiens régulièrement inscrits sur la liste électorale », a déclaré l’Évêque Jonathan Gba qui affirme agir sous « la direction du Saint-Esprit ». Une annonce qui, à elle seule, a suffi à faire l’effet d’une bombe dans le paysage protestant évangélique et politique ivoirien.
Pour justifier cette prise de position, la Grande Médiature Évangélique évoque la nécessité de « préserver la paix et la stabilité du pays » et de ne plus rester « en marge du développement de la nation ». Cette posture, inédite par son ton et son engagement explicite, a également suscité un tollé au sein même du monde évangélique.
Le Consistoire réplique et réaffirme la neutralité de l’Église
Face à cette sortie jugée partisane, le Consistoire des Protestants Évangéliques de Côte d’Ivoire (CPECI) a réagi dès le lendemain, le lundi 13 octobre 2025, par un communiqué officiel signé du Révérend Dr Dion Yayé Robert, dans un ton mesuré, mais ferme.
« Le CPECI entend réaffirmer la neutralité politique de l’Église évangélique et prendre à témoin l’opinion publique nationale et internationale quant à sa neutralité dans le processus électoral en cours », indique le document.
Le Consistoire souligne n’être « associé ni de près ni de loin à aucune déclaration politique partisane » et rappelle que les fidèles protestants évangéliques sont « libres de leurs choix politiques, dans le respect de leur conscience et de leur foi ».
Appelant à la paix, au discernement et à la prière, le CPECI exhorte les chrétiens à « contribuer à la cohésion sociale et à l’unité nationale » plutôt qu’à s’enliser dans des luttes d’influence.
Un malaise grandissant au sein du monde évangélique
Cette prise de position du Consistoire des Protestants Évangéliques de Côte d’Ivoire n’a pas manqué de surprendre certains hommes de Dieu. En effet, le CPECI figure parmi les signataires de la « Déclaration des Guides Religieux Chrétiens et Musulmans de Côte d’Ivoire », publiée le 27 septembre 2025 à la Cathédrale Saint-Paul du Plateau.
Dans ce texte interconfessionnel, les leaders religieux invitaient le président Ouattara à « faire tout ce qu’il faut pour renforcer le calme et la quiétude dans la communauté nationale ». Ce double positionnement du Consistoire, entre appel à la paix et neutralité politique, est aujourd’hui perçu les membres de la Grande Médiature Évangélique comme une pure contradiction.
Un pasteur contacté se confie à nous sous anonymat, en ces mots : « On ne peut pas, d’un côté, signer une déclaration adressée directement au Chef de l’État, et de l’autre, se dire totalement neutre comme la Bible le dit. Cela crée la confusion dans l’esprit des fidèles évangéliques qui regardent les choses de loin. »
Des antécédents révélateurs
Ce climat tendu trouve ses racines dans le Synode évangélique 2025, tenu le 29 août dernier à Yopougon. L’événement, présidé par l’Évêque Jonathan Gba, avait rassemblé plus de 5 000 serviteurs de Dieu au siège de l’Église Protestante Baptiste Œuvres et Mission Internationale (EPBOMI). Église du Révérend Dr Dion Yayé Robert, fondée depuis 1975.
Parmi les invités, ce jour, figurait l’Ambassadeur Claude Sahy Soumahoro, Chef de cabinet du Président de la République et membre influent du RHDP, parti au pouvoir. La présence de ce haut cadre politique avait déjà soulevé des interrogations sur le floue, entre la collaboration des organisations chrétiennes et cet homme politique au sein du monde évangélique.
Un risque de fracture interne
La réaction du CPECI, bien qu’inspirée par un souci d’apaisement, après la sortie de la Grande Médiature Évangélique, pourrait paradoxalement accentuer les divisions.
Selon un analyste religieux que nous avons contacté, deux camps pourront désormais se dessiner : « Les « pro-soutien politique », ralliés à la Grande Médiature Évangélique, qui voient en Alassane Ouattara un garant de la stabilité nationale » ; et « les « neutres » ou les « apolitiques », regroupés autour du Consistoire, qui prônent une stricte séparation entre foi et engagement politique partisan. »
Dans un contexte électoral déjà explosif, où les tensions politiques se cristallisent sur fond de méfiance et de rivalités, entre pouvoir et opposition, cette guerre de communiqués pourrait peser lourdement sur la crédibilité du monde protestant évangélique ivoirien.
Une page délicate pour les Évangéliques de Côte d’Ivoire
À moins de deux semaines du scrutin présidentiel du 25 octobre 2025, sans se voiler la face, cette affaire divise profondément la communauté évangélique et alimente les débats sur les réseaux sociaux. Une riposte éventuelle de la Grande Médiature Évangélique, tout comme la réaction de l’opposition ivoirienne, déjà mécontente, ou du pouvoir, pourrait encore rebattre les cartes dans ce bras de fer spirituel et politique.
Fait notable à rappeler, l’Évêque Jonathan Gba est reconnu comme le fils spirituel du Révérend Dr Dion Yayé Robert, président du Consistoire. Cette filiation, loin d’être anodine, alimente davantage les commentaires au sein du monde protestant évangélique.
Certains chrétiens évangéliques n’hésitent pas à le qualifier de « fou du roi », à l’instar de son binôme, Makosso Camille, tant son zèle à défendre des positions tranchées intrigue parfois. Comme cela a été le cas lors de l’élection présidentielle de 2020, alors que l’opposition contestait le troisième mandat dit « anti- constitutionnel ».
Le communiqué du Consistoire a, d’ailleurs, reconnu cette proximité spirituelle, ce qui laisse, encore, la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations. Mais, une chose est sûre, le monde évangélique ivoirien joue une partie délicate, où chaque mot prononcé peut désormais peser lourd dans la balance de l’environnement politique du pays, déjà fragile, tout comme dans les perspectives spirituelles de l’avenir.
Source : Chretiens.com