Plusieurs associations chrétiennes du Tchad alertent sur une monopolisation croissante des institutions publiques par l’islam, un phénomène qui exerce une pression grandissante sur le christianisme dans ce pays d’Afrique centrale qui compte environ 55% de musulmans et 40 à 45% de chrétiens, pour une population totale évaluée à 19 millions de personnes.
Dans une lettre ouverte adressée au président Mahamat Idriss Déby Itno en septembre 2025, les représentants de plusieurs associations chrétiennes – Union des femmes catholiques, Young Men’s Christian Association, Jeunesse étudiante chrétienne, et de nombreuses paroisses catholiques – dénoncent ce qu’ils nomment « l’empreinte croissante d’une unique confession religieuse dans les institutions de la République ».
Et de relever plusieurs faits à l’appui de cette tendance à l’islamisation du pays : construction de mosquées au sein d’institutions publiques, implication accrue du gouvernement dans l’organisation du Hajj – pèlerinage à la Mecque qui constitue l’un des cinq piliers de l’islam – limitation des discours officiels aux seules fêtes religieuses musulmanes.
Selon les signataires chrétiens de la tribune, ce poids croissant de l’islam dans la sphère publique contrevient à l’article 1 de la Constitution tchadienne, qui consacre la neutralité religieuse comme un principe fondamental de l’Etat.
Les signataires mettent également en lumière des décennies d’attaques contre les responsables de l’Eglise catholique et les symboles chrétiens, souvent perpétrées, selon eux, « dans la plus grande indifférence de la part des autorités ». Parmi les incidents cités figure une agression en 2021 perpétrée par les forces de sécurité contre la paroisse Bienheureux Isidore Bakanja à N’Djaména, capitale du pays.
L’église a été profanée et le curé de la paroisse, le père Simon-Pierre Madou, a été verbalement harcelé alors qu’il tentait de filmer l’incident. L’archevêque de N’Djaména, Mgr Goethe Edmond Djitangar, avait alors dénoncé une violation de la Constitution, tout en déplorant l’absence d’arrestations ou de poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs.
De manière moins spectaculaire, mais tout aussi préoccupante, les observateurs rapportent que les dégradations d’églises, les menaces contre les évêques et les prêtres, et même les assassinats de chrétiens sont devenus, au fil des années, des événements fréquents et banalisés.
Aussi les associations chrétiennes déplorent « l’effacement progressif des chrétiens de la sphère publique », rappelant que les chrétiens sont rarement nommés à des postes d’autorité, qu’ils bénéficient peu des bourses ou des contrats publics, et qu’ils subissent des discriminations dans le commerce et l’accès à la terre.
La proximité du Tchad avec les Etats confrontés à des groupes jihadistes radicaux constitue un facteur aggravant : la montée en puissance de l’organisation terroriste Boko Haram dans les pays voisins, avec son objectif déclaré d’éradiquer le christianisme dans le Sahel au profit d’un califat islamique, expose les chrétiens tchadiens à des attaques de cette organisation.
Selon l’ONG Open Doors, les convertis du christianisme issus de l’islam sont particulièrement vulnérables à la persécution, surtout dans les zones où des leaders religieux musulmans extrémistes sont actifs. L’organisation rapporte également que les chrétiens vivant dans les régions touchées par les attaques de Boko Haram sont les plus exposés à la violence.
Elle cite un incident survenu le 12 mai 2023, qui a vu l’assassinat d’un pasteur et d’au moins 12 chrétiens lors d’attaques menées par des éleveurs musulmans contre un village majoritairement chrétien. En août 2022, plus de 50 villageois ont été tués lors d’attaques terroristes contre sept villages de Leo. Les assaillants ont incendié des centaines de maisons, des greniers à céréales, et cinq bâtiments d’églises.
Pour l’Eglise, le gouvernement demeure le grand responsable de la situation, d’où neuf recommandations faites aux autorités afin d’apaiser les tensions. Parmi celles-ci : un audit de la représentation religieuse dans l’administration, le respect strict de la neutralité religieuse de l’Etat, une garantie de la sécurité pour les lieux de culte, et la mise en place d’un programme dit de « réconciliation et de coexistence ».
Mais alors que Mahamat Idriss Déby s’ouvre la voie d’une présidence à vie et a réussi à éliminer tous ses concurrents politiques potentiels, il difficile d’imaginer que la situation évolue dans un sens positif pour les catholiques du Tchad.
Source & Crédit Photo : Crux – FSSPX.Actualités